"La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l'exactitude de l'information. Si le citoyen n'est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire." Jean-François Revel - Extrait d'un Entretien avec Pierre Assouline - Novembre 1988

mardi 22 janvier 2013

TRAITÉ FRANCO-ALLEMAND DE L'ÉLYSÉE : 50 ANS DE MYSTIFICATION - PARTIE (2.1) - 15 PIÈCES À CONVICTION POUR DÉMONTER LA PROPAGANDE

par François Asselineau - Union Populaire Républicaine, lundi 21 janvier 2013


À l'occasion du 50e anniversaire de la signature du traité franco-allemand de l'Élysée le 22 janvier 1963 et du nouveau flot de propagande européiste qui a envahi les médias français à cette occasion, je crois utile de fournir à mes lecteurs un antidote. 

Il s'agit d'une chronologie éclairante des événements qui ont entouré ce fameux traité et le non moins fameux "couple franco-allemand" qui est censé en être résulté.  

Fondée sur 15 documents sourcés et irréfutables, cette chronologie leur permettra de démasquer minutieusement et précisément les mensonges éhontés dont les médias et les dirigeants politiques les abreuvent.



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DOCUMENT N°1

  • 15 mai 1962 = CONFÉRENCE DE PRESSE DE CHARLES DE GAULLE À L'ÉLYSÉE
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Pendant ses quatre premières années passées à l'Élysée (du 13 mai 1958 jusqu’aux Accords d’Évian de 1962), la principale des préoccupations de de Gaulle fut de régler - avec les difficultés et les erreurs que l'on sait - la très grave question algérienne. Pendant cette période, il n’avait les moyens politiques, ni de s'intéresser de près à la question européenne, ni de heurter frontalement les ministres centristes ( MRP, ultra-européistes) de son gouvernement.

Ayant trop besoin d’unité nationale, il garda donc un profil bas sur ce sujet. Il pouvait d'autant mieux le faire que la question européenne était encore mineure, puisque le traité de Rome - qui avait été signé et ratifié en 1957 avant son retour au pouvoir - en était encore à ses balbutiements et qu'elle ne concernait encore que Six États.

Mais, dès que la guerre d’Algérie fut finie, Charles de Gaulle prit alors à bras-le-corps la question européenne, sans plus s’embarrasser des états d’âme du MRP. 
La chronologie des événements en fournit la preuve : les Accords d’Evian furent signés le 18 mars 1962 et ratifiés par référendum le 8 avril. A peine cinq semaines après, le 15 mai, Charles de Gaulle mit les pieds dans le plat de la « construction européenne » lors d’une conférence de presse restée célèbre.

Avec une justesse d’analyse réellement prophétique, il y dénonça publiquement l’Europe intégrée, et implicitement la puissance américaine qui en tirait les ficelles, en usant d'un euphémisme : « un fédérateur qui ne serait pas européen ».

L’impact international de cette déclaration fut énorme et les députés MRP quittèrent le gouvernement sur-le-champ.

Voici ci-dessous à la fois le verbatim de cette déclaration cruciale et le lien vers la vidéo correspondante.


« Je voudrais parler plus spécialement de l’objection de l’intégration.

On nous l’oppose en nous disant : « Fondons ensemble les six États dans quelque chose de supranational, dans une entité supranationale. Et ainsi tout sera très simple et très pratique. »

Cette entité supranationale, on ne la propose pas parce qu’elle n’existe pas. Il n’y a pas de fédérateur, aujourd’hui - en Europe ! -, qui ait la force le, le crédit et l’attrait suffisants.

Alors on se rabat sur une espèce hybride et on dit : « eh bien tout au moins que les six Étatsacceptent, s’engagent, à se soumettre à ce qui sera décidé par une certaine majorité. »

En même temps, on dit : Il y a déjà six parlements européens, - six parlements nationaux plus exactement -, une assemblée parlementaire européenne, il y a même une assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui, il est vrai, est antérieure à la conception des Six et qui, me dit-on, se meurt aux bords où elle fut laissée.

Eh bien, malgré tout cela, élisons un parlement de plus, que nous qualifierons d'« européen » et qui fera la loi aux six États !

Ce sont des idées qui peuvent peut-être charmer quelques esprits mais je ne vois pas du tout comment on pourrait les réaliser pratiquement, quand bien même on aurait six signatures au bas d'un papier.

Y a-t-il une France, y a-t-il une Allemagne, y a-t-il une Italie, y a-t-il une Hollande, y a-t-il une Belgique, y a-t-il un Luxembourg qui soient prêts à faire, sur une question importante pour eux au point de vue national et au point de vue international, ce qui leur paraîtrait mauvais parce que ça leur serait commandé par d'autres ?

Est-ce que le peuple français, le peuple allemand le peuple italien, le peuple hollandais, , le peuple belge, le peuple luxembourgeois, sont prêts à se soumettre à des lois que voteraient des députés étrangers, des lors que ces lois iraient à l'encontre de leur volonté profonde ?

Mais, ce n'est pas vrai. Il n'y a pas moyen, à l’heure qu'il est, de faire en sorte qu'une majorité puisse contraindre - une majorité étrangère ! -, puisse contraindre des nations récalcitrantes.

Il est vrai que dans cette « Europe intégrée » comme on dit, ben il n'y aurait peut-être pas de politique du tout. Ça simplifierait beaucoup les choses. Et puis, en effet, dès lors qu'il n'y aurait pas de France, pas d'Europe qui auraient une politique, faute qu'on puisse en imposer une à chacun des six États, on s'abstiendrait d'en faire.

Mais alors, peut-être, tout ce monde se mettrait-il à la suite de quelqu'un du dehors, et qui – lui - en aurait une.

Il y aurait peut-être un fédérateur, mais il ne serait pas européen. Et ça ne serait pas « l'Europe intégrée », ce serait tout autre chose, de beaucoup plus large et de beaucoup plus étendu, avec je le répète un fédérateur.

Charles de Gaulle
Conférence de presse du 15 mai 1962


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La démission des ministres MRP du gouvernement, et la crise politique qui en résulta, conduisirent Charles de  Gaulle à changer de tactique, sans changer de stratégie. 

Plutôt que de dénoncer la construction européenne comme une machination ourdie par le « fédérateur qui ne serait pas européen », il se résolut à se proclamer lui-même pro-Européen, afin de subvertir le projet américain.

L'objectif qu'il se fixa, c’était de bâtir une « Europe indépendante » ou une « Europe européenne », c'est-à-dire en réalité une Europe sous influence française, qui se serait opposée à la fois à l’Europe soviétique située derrière le Rideau de fer et à l’Europe américaine refoulée dans les limites du seul Royaume-Uni.

Il développa donc une énergie considérable pour tenter de couper les liens de subordination que les cinq autres États membres de la CEE entretenaient avec les États-Unis d’Amérique.

Le pari du président français était que, s’il parvenait à opérer ce découplage autant psychologique que politique et militaire, les cinq États rechercheraient un autre mentor pour les protéger de l’URSS, et celui-ci ne pourrait être que la France. Ils se tourneraient d’ailleurs d’autant plus nécessairement vers Paris que nous disposerions de notre propre force de frappe nucléaire.

C’est ce calcul de joueur d’échecs que de Gaulle confia sans fioritures à Peyrefitte : « Dans cette Europe, en réalité, nous tiendrons les rênes parce que nous aurons la bombe [atomique] »  [C’était de Gaulle, Fayard, 1997, tome 2, Partie III, p. 262 ; Charles de Gaulle précise dans la même confidence que « Les Allemands, ça les embête de nous être inférieurs. Dans notre attelage, ils ne sont pas le cheval de tête, ça les embête ».]

C'est en application de ce calcul que Charles de Gaulle proposa aux Allemands, - et au Chancelier Konrad Adenauer - de mettre au point un "traité d'amitié et de coopération" franco-allemand. Ce traité, qui allait être signé à l’Élysée le 22 janvier 1963, visait ni plus ni moins qu'à séparer l’Allemagne de l’Ouest de son protecteur américain.

 C'est la raison pour laquelle le texte élaboré par les deux parties - mais où la France posait ses conditions - prit un soin tout particulier à ne mentionner ni les États-Unis d'Amérique, ni la Grande-Bretagne, ni la prétendue nécessité de se placer sous la subordination de l'OTAN, ni la prétendue nécessité de démanteler les réglementations des échanges commerciaux dans le cadre du GATT.




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DOCUMENT N°2 :

  • 19 janvier 1963 = TÉLÉGRAMME DIPLOMATIQUE DU COMPTE-RENDU DE L'AUDIENCE DE M. KNAPPSTEIN, AMBASSADEUR D'ALLEMAGNE AUX ÉTATS-UNIS, AVEC LE PRÉSIDENT KENNEDY
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Des agents de renseignements, placés probablement dans des postes de responsabilité à la fois au ministère français des affaires étrangères et dans les rouages de l'État ouest-allemand, avaient tenu le gouvernement américain informé, à la fois du projet de traité franco-allemand et des exigences de la partie française.

Washington comprit naturellement quel était l'objectif que visait ainsi Charles-de-Gaulle : l'éviction des États-Unis d'Amérique de leur influence sur la "construction européenne", en procédant à un découplage entre l'Allemagne de l'Ouest et les États-Unis.

C'est la raison pour laquelle, trois jours avant la signature officielle du traité – le 19 janvier 1963 – le président Kennedy convoqua au bureau ovale de la Maison-Blanche l'ambassadeur allemand Karl-Heinrich Knappstein pour lui faire part expressément de ses doléances.

Le télégramme diplomatique envoyé par le diplomate ouest-allemand à ses autorités de tutelle pour rendre compte de cet entretien capital est disponible en ligne sur Internet. En voici l'extrait le plus significatif :

Le président [Kennedy] était visiblement de mauvaise humeur; à plusieurs reprises, il a exprimé clairement ses critiques quant à l’état interne de l’Alliance [Atlantique] et affiché ses préoccupations vis-à-vis de la conclusion du traité [de l'Élysée] .

Au cours de l’entretien, je me suis efforcé plusieurs fois – certes avec un succès mitigé – de persuader le président du bien-fondé de la conclusion du traité; j’ai mis en avant la signification positive du traité pour la politique européenne et l’avenir de l’Alliance, et j’ai évoqué le fait qu’une étroite collaboration franco-allemande était susceptible d’être fructueuse pour l’ensemble de l’Alliance, précisément en ce qui concerne les aspects de la politique du général de Gaulle qui irritaient le président.



Pour qui sait lire entre les lignes, on voit que l'ambassadeur allemand avait eu pour consigne de rassurer le président des États-Unis d'Amérique, en laissant pointer le double jeu que l'Allemagne de l'Ouest s'apprêtait à mettre en œuvre.

Comme l'écrit l'ambassadeur Knappstein, la collaboration franco-allemande pourrait finir par être fructueuse pour l'ensemble de l'Alliance atlantique parce que les Allemands se faisaient fort d'attirer Paris contre son gré dans une collaboration avec les États-Unis.




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DOCUMENT N°3 :

  • 22 janvier 1963 = TRAITÉ FRANCO-ALLEMAND DE L'ÉLYSÉE
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Le 22 janvier 1963, le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer signent le traité de coopération dans le Salon Murat de l'Élysée. La presse présente ce document comme destiné à "sceller la réconciliation entre la France et la République Fédérale d’Allemagne"

Trois jours après l'entretien entre l'ambassadeur allemand et le président des États-Unis à Washington, le traité franco-allemand fut néanmoins signé, le 22 janvier 1963, dans les formes requises par la partie française.

Je joins ici l'intégralité de ce traité mais le lecteur pressé pourra maintenant parcourir que la partie en gras.

Il faut en retenir que, conformément à ce qui avait été prévu, ce traité ne mentionne à aucun moment :
  • ni les États-Unis d'Amérique,
  • ni la Grande-Bretagne,
  • ni la prétendue nécessité de coopérer avec l'OTAN - ou de se placer sous sa subordination,
  • ni la prétendue nécessité de démanteler les réglementations des échanges commerciaux dans le cadre du GATT,
Il n'est question de l'Alliance atlantique qu'à un seul moment, dans le cadre de simple « consultation sur des questions d'intérêt commun ». Tout comme il est prévu que les deux parties ne se consultent sur les activités  du Conseil de l'Europe, de l'OCDE, de l'UEO (Union de l'Europe occidentale - qui a disparu en juin 2011), de l'ONU et de ses institutions spécialisées (FMI, Banque Mondiale etc.)

=======  TEXTE COMPLET DU TRAITÉ =========

À la suite de la déclaration commune du Président de la République française et du Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne en date du 22 janvier 1963, sur l’organisation et les principes de la coopération entre les deux États, les dispositions suivantes ont été agréées :

I. - ORGANISATION

1. Les Chefs d’État et de Gouvernement donneront en tant que de besoin les directives nécessaires et suivront régulièrement la mise en œuvre du programme fixé ci-après. Ils se réuniront à cet effet chaque fois que cela sera nécessaire et, en principe, au moins deux fois par an.

2. Les Ministres des Affaires étrangères veilleront à l’exécution du programme dans son ensemble. Ils se réuniront au moins tous les trois mois. Sans préjudice des contacts normalement établis par la voie des ambassades, les hauts fonctionnaires des deux Ministères des Affaires étrangères, chargés respectivement des affaires politiques, économiques et culturelles, se rencontreront chaque mois alternativement à Paris et à Bonn pour faire le point des problèmes en cours et préparer la réunion des Ministres. D’autre part, les missions diplomatiques et les consulats des deux pays ainsi que leurs représentations permanentes auprès des organisations internationales prendront tous les contacts nécessaires sur les problèmes d’intérêt commun.

3. Des rencontres régulières auront lieu entre autorités responsables des deux pays dans les domaines de la défense, de l’éducation et de la jeunesse. Elles n’affecteront en rien le fonctionnement des organismes déjà existants - commission culturelle franco-allemande, groupe permanent d’État-major - dont les activités seront au contraire développées. Les Ministres des Affaires étrangères seront représentés à ces rencontres pour assurer la coordination d’ensemble de la coopération ;

a) les Ministres des Armées ou de la Défense se réuniront au moins une fois tous les trois mois. De même, le Ministre français de l’Éducation nationale rencontrera, suivant le même rythme, la personnalité qui sera désignée du côté allemand pour suivre le programme de coopération sur le plan culturel ;

b) les Chefs d’État-major des deux pays se réuniront au moins une fois tous les deux mois ; en cas d’empêchement, ils seront remplacés par leurs représentants responsables ;

c) le haut-commissaire français à la Jeunesse et aux Sports rencontrera, au moins une fois tous les deux mois, le Ministre fédéral de la Famille et de la Jeunesse ou son représentant.

4. Dans chacun des deux pays, une commission interministérielle sera chargée de suivre les problèmes de la coopération. Elle sera présidée par un haut fonctionnaire des Affaires étrangères et comprendra des représentants de toutes les administrations intéressées. Son rôle sera de coordonner l’action des ministères intéressés et de faire périodiquement rapport à son Gouvernement sur l’état de la coopération franco-allemande. Elle aura également pour tâche de présenter toutes suggestions utiles en vue de l’exécution du programme de coopération et de son extension éventuelle à de nouveaux domaines.


II. PROGRAMME

A. - Affaires étrangères

1. Les deux Gouvernements se consulteront, avant toute décision, sur toutes les questions importantes de politique étrangère, et en premier lieu sur les questions d’intérêt commun, en vue de parvenir, autant que possible, à une position analogue. Cette consultation portera entre autres sur les sujets suivants : Problèmes relatifs aux communautés européennes et à la coopération politique européenne ; Relations Est-Ouest, à la fois sur le plan politique et sur le plan économique ; Affaires traitées au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et des diverses organisations internationales auxquelles les deux gouvernements sont intéressés, notamment le Conseil de l’Europe, l’Union de l’Europe Occidentale, l’Organisation de coopération et de développement économique, les Nations Unies et leurs institutions spécialisées.

2. La collaboration, déjà établie dans le domaine de l’information, sera poursuivie et développée entre les services intéressés à Paris et à Bonn et entre les missions dans les pays tiers.

3. En ce qui concerne l’aide aux pays en voie de développement, les deux Gouvernements confronteront systématiquement leurs programmes en vue de maintenir une étroite coordination. Ils étudieront la possibilité d’entreprendre des réalisations en commun. Plusieurs départements ministériels étant compétents pour ces questions, du côté français comme du côté allemand, il appartiendra aux deux ministères des Affaires étrangères de déterminer ensemble les bases pratiques de cette collaboration.

4. Les deux Gouvernements étudieront en commun les moyens de renforcer leur coopération dans d’autres secteurs importants de la politique économique, tels que la politique agricole et forestière, la politique énergétique, les problèmes de communications et de transports et le développement industriel, dans le cadre du Marché commun, ainsi que la politique des crédits à l’exportation.

B. – Défense

I. - Les objectifs poursuivis dans ce domaine seront les suivants :

1. Sur le plan de la stratégie et de la tactique, les autorités compétentes des deux pays s’attacheront à rapprocher leurs doctrines en vue d’aboutir à des conceptions communes. Des instituts franco-allemands de recherche opérationnelle seront créés.

2. Les échanges de personnel entre les armées seront multipliés ; ils concerneront en particulier les professeurs et les élèves des écoles d’État-major ; ils pourront comporter des détachements temporaires d’unités entières. Afin de faciliter ces échanges, un effort sera fait de part et d’autre pour l’enseignement pratique des langues chez les stagiaires.

3. En matière d’armements, les deux Gouvernements s’efforceront d’organiser un travail en commun dès le stade de l’élaboration des projets d’armement appropriés et de la préparation des plans de financement. A cette fin, des commissions mixtes étudieront les recherches en cours sur ces projets dans les deux pays et procéderont à leur examen comparé. Elles soumettront des propositions aux ministres qui les examineront lors de leurs rencontres trimestrielles et donneront les directives d’application nécessaires.

II. - Les gouvernements mettront à l’étude les conditions dans lesquelles une collaboration franco-allemande pourra être établie dans le domaine de la défense civile.

C. - Éducation et Jeunesse

En matière d’éducation et de jeunesse, les propositions contenues dans les mémorandums français et allemand des 19 septembre et 8 novembre 1962 seront mises à l’étude selon les procédures indiquées plus haut :

1. Dans le domaine de l’éducation, l’effort portera principalement sur les points suivants :

a) Enseignement des langues :
Les deux Gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande. Le Gouvernement fédéral examinera, avec les gouvernements des Länder, compétents en la matière, comment il est possible d’introduire une réglementation qui permette d’atteindre cet objectif. Dans tous les établissements d’enseignement supérieur, il conviendra d’organiser un enseignement pratique de la langue française en Allemagne et de la langue allemande en France, qui sera ouvert à tous les étudiants.

b) Problème des équivalences :

Les autorités compétentes des deux pays seront invitées à accélérer l’adoption des dispositions concernant l’équivalence des périodes de scolarité, des examens, des titres et diplômes universitaires.

c) Coopération en matière de recherche scientifique :

Les organismes de recherches et les instituts scientifiques développeront leurs contacts en commençant par une information réciproque plus poussée, des programmes de recherches concertées seront établis dans les disciplines où cela se révélera possible.

2. Toutes les possibilités seront offertes aux jeunes des deux pays pour resserrer les liens qui les unissent et pour renforcer leur compréhension mutuelle. Les échanges collectifs seront en particulier multipliés. Un organisme destiné à développer ces possibilités et à promouvoir les échanges sera créé par les deux pays avec, à sa tête, un conseil d’administration autonome. Cet organisme disposera d’un fonds commun franco-allemand qui servira aux échanges entre les deux pays d’écoliers, d’étudiants, de jeunes artisans et de jeunes travailleurs.

III. - DISPOSITIONS FINALES

1. Les directives nécessaires seront données dans chaque pays pour la mise en oeuvre immédiate de ce qui précède. Les Ministres des Affaires étrangères feront le point des réalisations acquises à chacune de leurs rencontres.

2. Les deux Gouvernements tiendront les Gouvernements des autres États membres des Communautés européennes informés du développement de la coopération franco-allemande.

3. A l’exception des clauses concernant la défense, le présent Traité s’appliquera également au Land de Berlin, sauf déclaration contraire faite par le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne au Gouvernement de la République française dans les trois mois qui suivront l’entrée en vigueur du présent Traité.

4. Les deux Gouvernements pourront apporter les aménagements qui se révéleraient désirables pour la mise en application du présent Traité.

5. Le présent Traité entrera en vigueur dès que chacun des deux Gouvernements aura fait savoir à l’autre que, sur le plan interne, les conditions nécessaires à sa mise en œuvre ont été remplies.

Fait à Paris, le 22 janvier 1963, en double exemplaire, en langue française et en langue allemande, les deux textes faisant également foi.

Le Président de la République française
Charles de GAULLE

Le Premier Ministre français
Georges POMPIDOU

Le Ministre français des Affaires étrangères
Maurice COUVE de MURVILLE

Le Chancelier de la République fédérale d’Allemagne
Konrad ADENAUER

Le Ministre fédéral des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne
Gerhard SCHROEDER





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DOCUMENT N°4

  • 24 avril 1963 = PREMIÈRE RÉACTION DE CHARLES DE GAULLE À L'ANNONCE PAR LES ALLEMANDS QU'ILS VONT AJOUTER UN PRÉAMBULE INTERPRÉTATIF AU TRAITE  
« Les Américains essaient de vider notre traité de son contenu. [...] Les Allemands se conduisent comme des cochons ! Ils mériteraient que nous dénoncions le traité et que nous  fassions un renversement d’alliance en nous entendant avec les Russes ! »
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Dans les semaines qui suivirent la signature du traité de l'Élysée le 22 janvier 1963, les Américains ne restèrent pas inactifs. Conformément aux préoccupations insistantes que le président Kennedy avait fait valoir à l'ambassadeur Knappstein, et conformément à la promesse voilée que celui-ci avait faite au président américain, il apparut que la tactique allemande allait consister à utiliser un subterfuge pour vider le sens le traité signé par le chancelier allemand à Paris.

Le chancelier allemand Konrad Adenauer, ancien opposant historique à Hitler, était à l'époque un homme âgé entouré par des collaborateurs qui étaient tous très proches des intérêts américains. Il se laissa donc facilement circonvenir, en acceptant que les députés du Bundestag allemand adoptent un « protocole interprétatif » en même temps que la ratification du traité de l'Élysée.

Ce « protocole interprétatif » avait en réalité pour objet, non pas d'« interpréter » ledit traité, mais de le dénaturer de fond en comble.

Comment ? En invoquant expressément et explicitement toutes les sujétions à l'égard des États-Unis d'Amérique, de la Grande Bretagne, de l'OTAN et du GATT que la partie française avait justement expressément refusées.

C'est au cours de la troisième semaine du mois d'avril 1963 que les autorités françaises furent informées, par le gouvernement allemand, de ce projet de « protocole interprétatif », attribué au Bundestag allemand, qui constituait en réalité une véritable dénonciation du texte signé le 22 janvier.

Dans son livre C'était De Gaulle, l'ancien ministre Alain Peyrefitte rapporte en ces termes ce que fut la réaction de Charles-de-Gaulle lorsqu'il apprit ce coup de poignard dans le dos :

Salon doré [de l'Élysée], 24 avril 1963.

Pour obtenir, du Bundestag méfiant, une large ratification, Adenauer s’est résigné à adjoindre au traité un préambule unilatéral qui affirme la solidarité « Atlantique » de l’Allemagne, réduisant ainsi la portée européenne (au sens gaullien) du traité.

Le Général me charge de présenter à la presse cette version officielle de notre réaction :
« La France a fait connaître au gouvernement allemand qu’elle n’avait pas d’objection à l’inclusion dans la loi de ratification allemande d’un préambule réaffirmant la fidélité de la République fédérale à son engagement Atlantique et européen. »

Mais la vérité ressentie par le Général est tout autre :



« Les Américains essaient de vider notre traité de son contenu. Ils veulent en faire une coquille vide. Tout ça, pourquoi ? Parce que les politiciens allemands ont peur de ne pas s’aplatir suffisamment devant les Anglo-Saxons !

Ils se conduisent comme des cochons ! Il mériterait que nous dénoncions le traité et que nous Fassions un renversement d’alliance en nous entendant avec les Russes ! »

Ce n’est pas tout à fait paroles en l’air : il s’en entretient aussi avec Pompidou, qui me confie dans le surlendemain sa préoccupation : « le Général éprouve une profonde déception. Il songe à faire machine arrière. » 

Pourtant, en public, le Général continue à clamer sa foi dans la « réconciliation en profondeur » dont Adenauer et lui-même ont été les ouvriers. À Vitry-le-François, il se félicite que la France ait noué une amitié solide avec son ancienne ennemie, surmontant « toute espèce de séquelles d'un passé cruel et sanglant ».

C’était de Gaulle, Fayard, 1997, tome 2, page 228



La remarque finale que fait Alain Peyrefitte dans cet extrait que je viens de citer est très importante. Elle révèle que Charles de Gaulle a eu le souci de sauver les apparences pendant cette période cruciale de l'année 1963.

Il y a plusieurs raisons que l'on peut avancer pour cela :

  • d'une part le président de la République française avait certainement le souci de ne pas passer pour un novice qui venait de se faire rouler dans la farine par les Anglo-Saxons : sauf à paraître ridicule, il lui était extrêmement difficile de désavouer publiquement, dès la fin avril 1963, le traité qu'il avait signé en grandes pompes trois mois auparavant ;
  • d'autre part, il devait avoir le souci de ménager les forces qui, en Allemagne, auraient peut-être pu souhaiter se rapprocher de la vision française ;
  • enfin et surtout, Charles de Gaulle voulait certainement attendre et voir quelle serait l'évolution des événements, voir si le Protocole interprétatif serait en effet voté et dans quels termes, et cela afin de réfléchir au changement de stratégie qu'il serait alors amené à envisager.

Il est néanmoins important de comprendre qu'en faisant ces déclarations lénifiantes en public, de Gaulle a pris un risque pour la postérité.

Ce risque était de voir les dirigeants français des décennies suivantes se livrer à un véritable détournement d'héritage et présenter le chef de la France libre et le fondateur de la Ve République comme un ardent pro-européen, en ne retenant que des morceaux vicieusement sélectionnés de certaines de ses déclarations publiques, en taisant le fait qu'elles n'étaient faites que pour donner le change.

Ce risque, hélas, s'est bel et bien concrétisé.



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DOCUMENT N°5

  • 12/15 juin 1963 = DOUBLE DISCOURS PUBLIC/PRIVÉ DE CHARLES DE GAULLE POUR SAUVER LES APPARENCES ET SE DONNER LE TEMPS DE RÉFLÉCHIR À UNE STRATÉGIE ALTERNATIVE
Au cours de sa visite dans les Charentes, [...] le Général a encore exalté la réconciliation, avec une conviction qui retentit étrangement à mes oreilles [...] Une fois de plus, il fait « comme si ».  
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Charles de Gaulle poursuivit d'ailleurs cette tactique du double discours – fustigeant les Allemands en privé et faisant comme si il n'y avait pas de problème en public – au cours des jours qui précédèrent le vote du « Protocole interprétatif » et du traité d'amitié franco-allemand par le Bundestag le 15 juin 1963.

C'est ce que nous révèle, une fois encore, Alain Peyrefitte qui faisait partie de son entourage le plus proche et qui résume la situation d'une formule pathétique : De Gaulle faisait « comme si » :

Ces doutes et ces anathèmes ne sont pas faits pour le public. Du 12 au 16 juin, au cours de sa visite dans les Charentes, notamment à Saint-Jean-d’Angély le 14, le Général a encore exalté la réconciliation, avec une conviction qui retentit étrangement à mes oreilles : 

« L’Allemagne et la France ont conclu l’une avec l’autre, après l’immense malheur, non seulement la paix, mais un traité pour coopérer. Si on y réfléchit bien, c’est une révolution qu’elles ont accomplie et un magnifique exemple qu’elles ont donné. »

De village en village, il célèbre cette « révolution », cet exemple. « La France a accompli la une des plus grandes actions de son Histoire. »

Une fois de plus, il fait « comme si ».  
C’était de Gaulle, Fayard, 1997, tome 2, page 230

Discours de Charles de Gaulle sur la place de Jonzac, lors de son voyage dans les Charentes du 12 au 15 juin 1963. Pour ne pas perdre la face devant le bras d'honneur des Anglo-Saxons, le fondateur de la Ve République faisait « comme si »...




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DOCUMENT N°6

  • 15 juin 1963 = PRÉAMBULE INTERPRÉTATIF VOTÉ UNILATÉRALEMENT LE 15 JUIN 1963 PAR LES DÉPUTÉS ALLEMANDS DU BUNDESTAG LORS DE LA RATIFICATION DU TRAITÉ FRANCO-ALLEMAND DE L'ÉLYSÉE
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Le 15 juin 1963, les députés allemands du Bundestag votent le « préambule interprétatif » avant de ratifier le traité franco-allemand de l'Élysée, ce qui revient à vider complètement de substance et à dénaturer les objectifs de ce dernier.

Ce document introduit expressément et explicitement les mots et les concepts mêmes que Charles de Gaulle avait opiniâtrement écartés :
  • « étroite association entre l'Europe et les États-Unis d'Amérique »,
  • « admission de la Grande Bretagne »,
  • «  défense commune dans le cadre de l'Alliance de l'Atlantique nord »,
  • « abaissement des barrières douanières avec la Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amérique, ainsi que d'autres États, dans le cadre du GATT »
  • etc.

Cette fois-ci, le bras d'honneur de l'Allemagne à la France est consommé.


La Chancelier Adenauer parlant devant le Bundestag vers 1963. A l'époque, la Chambre des députés de la République fédérale d'Allemagne siégeait à Bonn, l'Allemagne étant coupée en deux.


PRÉAMBULE À LA LOI PORTANT RATIFICATION DU TRAITÉ FRANCO-ALLEMAND,
VOTÉ PAR LE BUNDESTAG
  
(Bonn, 15 juin 1963) 

Convaincu que le traité du 22 janvier 1963 entre la République fédérale d'Allemagne et
la République française renforcera et rendra effective la réconciliation et l'amitié entre le
peuple allemand et le peuple français,

Constatant que les droits et les obligations découlant pour la République fédérale des
traités multilatéraux auxquels elle est partie ne seront pas modifiés par ce traité,

Manifestant la volonté de diriger l'application de ce traité vers les principaux buts que la
République fédérale d'Allemagne poursuit depuis des années en union avec ses autres
alliés et qui déterminent sa politique, à savoir:
  • le maintien et le renforcement de l'Alliance des peuples libres et, en particulier, une étroite association entre l'Europe et les États-Unis d'Amérique,
  • l'obtention du droit d'autodétermination pour le peuple allemand et le rétablissement de l'unité allemande,
  • la défense commune dans le cadre de l'Alliance de l'Atlantique nord et l'intégration des forces armées des États membres du pacte,
  • l'unification de l'Europe selon la voie tracée par la création des Communautés européennes, en y admettant la Grande-Bretagne et les autres États désirant s'y joindre et le renforcement des Communautés existantes,
  • l'abaissement des barrières douanières par des négociations entre la Communauté économique européenne, la Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amériqueainsi que d'autres États, dans le cadre du GATT.

Conscient qu'une coopération franco-allemande conduite selon ces buts sera bénéfique pour tous les peuples, servira au maintien de la paix dans le monde et contribuera par là simultanément au bien des peuples français et allemand,

Le Bundestag ratifie la loi suivante.




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DOCUMENT N°7

  • 19 juin 1963 = FUREUR DE CHARLES DE GAULLE DEVANT LA POSITION PUBLIQUE DU SÉNAT AMÉRICAIN SUR LA « CONSTRUCTION EUROPÉENNE » APRES LE VOTE DU « PROTOCOLE INTERPRÉTATIF » ALLEMAND
« Le tout, pour que les États-Unis puissent mieux gouverner l’Europe. Dans ce cas, l’Europe disparaît, la France est abolie. Ceux qui ont renoncé à la France depuis longtemps, cherchent une situation qui noie la France dans des systèmes politiques où la France n’existerait pas. [...]Ça leur est égal. Leur instinct est que la France disparaisse. »
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Le vote du protocole interprétatif par les parlementaires allemands, qui vide de substance toute la portée du traité de l'Élysée suscita, on s'en doute, une très grande satisfaction aux États-Unis.Du coup, la commission des Affaires étrangères du Sénat américain rendit publique une analyse, dans laquelle elle mettait en quelque sorte en demeure les Six États du Marché commun de choisir entre :
  • une « Europe autarcique » ; c'est-à-dire, en langage codé, une Europe qui rejetterait la domination des États-Unis) ;
  • et une Europe « Atlantique » ; c'est-à-dire une Europe placée sous la domination américaine comme venait de le décider la République fédérale d'Allemagne

C'est Maurice Couve de Murville, ministre des affaires étrangères, qui fit un compte rendu de ce rapport sensationnel du Sénat américain lors du Conseil des ministres du 19 juin 1963, qui se réunit quatre jours après le vote allemand du 15 juin 1963.

Maurice Couve de Murville (1907 - 1999) fut ministre des affaires étrangères pendant 10 ans, de juin 1958 à mai 1968.


Au Conseil [des ministres] du 19 juin 1963

Couve [de Murville] évoque un rapport publié par la commission des Affaires étrangères du Sénat américain :  « Ce document demande : "Que va choisir l’Europe, entre la communauté Atlantique et l’Europe autarcique ?". Autrement dit, l’Europe sera-t-elle dans un ensemble commandé par les Américains, où formera-t-elle elle-même un ensemble indépendant des États-Unis ?

Ce document pose bien le problème. Mais naturellement, ses conclusions ne sont pas les nôtres. Il compte sur "la résistance que les Allemands opposeront à l’Élysée". Elle serait seule capable de"surmonter les difficultés que les États-Unis rencontrent en Europe du fait du hiatus gaulliste". Quant au "veto français à l'entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, c’était autant un soufflet sur la joue des États-Unis que sur celle de la Grande-Bretagne" .

Cette présentation de la position américaine provoqua la fureur du président de la République française, qui n'y alla pas par quatre chemins pour expliquer, devant ses ministres, quel était le fin mot de toute cette histoire.

Cette déclaration de Charles de Gaulle, faite solennellement en Conseil des ministres, a été rapportée par Alain Peyrefitte : elle mérite d'être lue et relue car elle apparaît de nos jours, avec le recul d'un demi-siècle, comme terriblement prémonitoire :

Charles De Gaulle –  Il n’y a pas de doute. Le problème s’est déjà posé au moment de l’institution de l’OTAN. Il s’est aussi posé pour la CED, c'est ce que les Européens appellent « l’intégration européenne », sans se préoccuper de savoir s’il y a une politique européenne. L’entrée des Anglais aurait évidemment anéanti cette Europe en train de se constituer de manière autonome. 

« Le tout, pour que les États-Unis puissent mieux gouverner l’Europe. Dans ce cas, l’Europe disparaît, la France est abolie. Ceux qui ont renoncé à la France depuis longtemps, cherchent une situation qui noie la France dans des systèmes politiques où la France n’existerait pas.

« C’est pourquoi ils sont ivres de l’ONU, de l’OTAN, de "l’intégration européenne". Ils se ruent pour faire entrer la Grande-Bretagne, alors qu’ils savent qu’il n’y aura pas d’intégration si l’Angleterre est dans l’Europe. Ça leur est égal. Leur instinct est que la France disparaisse.

 « Mais ils se sont faits des illusions, ils ont commis une erreur sur notre capacité de les en empêcher ! C’est ce que tout le monde commence à admettre. »

C’était de Gaulle, Fayard, 1997, tome 2, pages 229-230


Cette dernière remarque de Charles de Gaulle revêt un caractère profondément tragique.

Car, s'il est vrai que le Fondateur de la Résistance eut la force morale, le courage et la capacité d'empêcher d'agir tous ceux qui avaient « renoncé à la France depuis longtemps » et tous ceux qui « cherchent une situation qui noie la France dans des systèmes politiques ou la France n'existerait pas », force est de constater – hélas ! – que ses successeurs à l'Élysée ont perdu cette capacité.

Force est aussi de constater que les derniers en date de nos Chefs d'État se sont même faits les champions  de l'abolition de la France.




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DOCUMENT N°8

  • 3 juillet 1963 = DÉCEPTION DE CHARLES DE GAULLE, AVOUÉE EN PRIVÉ ET EN PUBLIC 
« Je ne vous le cacherai pas. Déçu par le préambule qu’à imposé le Bundestag. Déçu par la mécanique de la coopération franco-allemande. [...] Si le traité allemand n’était pas appliqué, ce ne serait pas le premier dans l’Histoire. »
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L'atroce déception de Charles de Gaulle, roulé dans la farine par les Anglo-Saxons, devint de plus en plus manifeste à la fin du mois de juin 1963 et au début du mois de juillet. Il ne pouvait plus s'en cacher et il finit par l'avouer, à la fois en privé à Alain Peyrefitte, mais aussi en public devant les députés de sa propre majorité :


Au Conseil [des ministres] du 3 juillet 1963
[… ]

Après le conseil, je demande au Général : « Moins de six mois après la signature du traité de l’Élysée, vous donnez l’impression d’être déçu.

Charles-de-Gaulle – Je ne vous le cacherai pas. Déçu par le préambule qu’à imposé le Bundestag. Déçu par la mécanique de la coopération franco-allemande : elle n’est pas aussi efficace que je l’imaginais. Et pourtant, Adenauer est encore là. Que sera-ce quand il sera parti ? »

Le même soir, au cours d’un dîner à l’Élysée qu’il a offert en l’honneur des bureaux des deux chambres du Parlement, quelques députés, devant lui, se montrent sceptiques envers la solidité du traité franco-allemand. Le Général répond sur le même ton, dans une parabole mélancolique : « Les traités sont comme les jeunes filles et les roses : ça dure ce que ça dure. Si le traité allemand n’était pas appliqué, ce ne serait pas le premier dans l’Histoire. »

C’était de Gaulle, Fayard, 1997, tome 2, page 231



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DOCUMENT N°9

  • 14 novembre 1963 : COLÈRE DE CHARLES DE GAULLE DEVANT LA VOLONTÉ ALLEMANDE DE DÉTOURNER LES OBJECTIFS DE L'OFFICE FRANCO-ALLEMAND DE LA JEUNESSE (OFAJ)
« C’est une mauvaise plaisanterie ! C’est contraire au traité ! Ne réintroduisons par l’Angleterre par ce biais ! Les Allemands, il faut les envoyer promener, ce ne sera pas la première fois dans l’Histoire. Il suffit de dire non, il suffit de ne pas se coucher. »
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Quelques mois après, le président de la République française eut l'occasion de mesurer très concrètement le détournement complet d'objectif fourberie que les Allemands entendaient appliquer au traité de l'Élysée.

C'est Maurice Herzog, secrétaire d'État à la jeunesse au sport et président de l'Office Franco-Allemand de la Jeunesse (OFAJ) créée par le traité, qui le révéla en Conseil des ministres, en posant ingénument la question de savoir si l'OFAJ pouvait s'occuper de développer les relations entre Européens, et notamment avec des jeunes Britanniques, et cela à la demande des Allemands.

Ce qui lui valut la volée de bois vert que rapporte Alain Peyrefitte :

Au Conseil [des ministres] du jeudi 14 novembre 1963

Maurice Herzog [ministre de la jeunesse des sports] rend compte de la mise en place du tout nouvel Office franco-allemand pour la jeunesse – cette création du traité :

« Le gouvernement allemand est sensible aux pressions du Bundestag et veut mettre l’accent sur l’aspect européen du nouvel Office. Il a demandé qu’une part des crédits favorise des échanges avec de jeunes Européens, surtout de jeunes Anglais, histoire de compenser leur exclusion du marché commun. J’ai cru devoir accepter le principe de quelques déplacements de Français et d'Allemands dans des pays européens autres que la France et l’Allemagne. »

Le Général explose : « C’est une mauvaise plaisanterie ! C’est contraire au traité ! Ne réintroduisons par l’Angleterre par ce biais ! Les Allemands, il faut les envoyer promener, ce ne sera pas la première fois dans l’Histoire.

Herzog – Donc, je reste ferme.

Charles-de-Gaulle – Naturellement ! Ou devenez-le, si vous ne l’avez pas été ! Il suffit de dire non, il suffit de ne pas se coucher. C’est quand même moins difficile que de monter sur l’Himalaya ! »

C’était de Gaulle, Fayard, 1997, tome 2, page 245

Maurice Herzog (1919 - 2012) [ à gauche sur la photo du bas] était un alpiniste et un homme politique français. Nommé secrétaire d'État à la Jeunesse et aux Sports de 1958 à 1966, il présida à partir de 1964 l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) créé par le traité de L'Elysée. Avec une expédition française, Maurice Herzog avait été le premier à gravir un sommet de plus de 8 000 mètres, l'Annapurna, le 3 juin 1950 ( Ce n'est que trois ans après, le 29 mai 1953, que le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le sherpa Tensing Norgay vainquirent l'Everest (Chomolungma en tibétain / Sagarmatha en népalais).
L'exploit de Maurice Herzog, qui eut les orteils et les doigts gelés lors de cette expédition, fut largement popularisé en France par la Une de Paris Match, le film "Victoire sur l'Annapurna" et le livre "Annapurna premier 8000". C'est à cet exploit que Charles de Gaulle fait ici allusion de façon ironique.


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DOCUMENT N°10

  • 11 décembre 1963 : CHARLES DE GAULLE EXPLIQUE EN PRIVÉ LA NOUVELLE STRATÉGIE QU'IL A DÉCIDÉ DE SUIVRE POUR FAIRE ÉCHAPPER LA FRANCE AU PROCESSUS DE DOMINATION ENGAGÉ PAR LES AMÉRICAINS ET LES ALLEMANDS : DES ALLIANCES DE REVERS.
« La fin du Marché commun, ça ne nous contrarie pas. Si [le traité de Rome, ayant créé le Marché commun et la CEE le 25 mars 1957] n'est pas appliqué, la France s’en tirera très bien autrement. [...] Nous avons les moyens de nous retourner ! Le monde est vaste et la France a un grand jeu à jouer. »
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Dès la fin de l'année 1963 il apparut clairement à Charles de Gaulle qu'il devait nécessairement adopter une nouvelle stratégie, s'il voulait faire échapper la France au processus de domination engagé par les Américains et les Allemands, sous la forme d'une prise en tenailles. 

C'est ce qu'il dévoila dans une conversation privée à son ministre Alain Peyrefitte, qui l'a consigné dans son ouvrage.

Cette conversation est d'un intérêt exceptionnel puisqu'elle montre que le fondateur de la France libre avait parfaitement à l'esprit l'hypothèse de faire sortir la France de la prétendue « construction européenne », et de mettre en œuvre à la place un système d'alliances de revers.



Alain Peyrefitte : - Est-ce que nous pourrons changer de fusil d’épaule ? »

Charles de Gaulle : - Mais bien sûr ! Croyez-vous que nous ayons besoin du Marché commun pour respirer ? En face de la manœuvre des Anglais, des Américains et des Allemands, notre manœuvre à nous ce sera de dire : « la fin du Marché commun, ça ne nous contrarie pas.»

« Je n’avais pas été favorable à l’intégration européenne. Mais dès lors qu'on avait signé le traité de Rome, j'ai pensé, quand je suis arrivé aux affaires, qu'il fallait qu'on l’applique. S'il n'est pas appliqué, la France s’en tirera très bien autrement. »

Alain Peyrefitte : -  Il y a une conviction répandue dans les esprits, surtout dans la jeunesse, c'est que, sans l’Europe, la France ne sera plus rien ».

Charles de Gaulle : - Il est possible que la fin du Marché commun, ce soit justement la fin de ce mythe. Ce serait heureux : il a été forgé par les fumistes qui ont voulu faire croire à l’Europe supranationale. [...] Nous avons voulu faire une politique d’entente avec les Allemands. Si les Allemands nous glissent entre les doigts, eh bien, nous avons les moyens de nous retourner !

Le monde est vaste et la France a un grand jeu à jouer. »

C’était de Gaulle, Fayard, 1997, tome 2, pages 253 - 254





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