"La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l'exactitude de l'information. Si le citoyen n'est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire." Jean-François Revel - Extrait d'un Entretien avec Pierre Assouline - Novembre 1988

lundi 22 juillet 2013

En bandes organisées

Comme beaucoup il oublie de parler de la commission européenne et de l'otan, pour un article du monde diplo ça fait pas très sérieux...



Rien de nouveau sous le soleil ? Des organisations hors la loi existaient déjà dans l’Antiquité, au Moyen Age, durant l’Ancien Régime et les décennies passées. Mais, depuis la fin du XXe siècle, les abandons de souveraineté et la mondialisation libérale ont permis aux capitaux de circuler sans frein d’un bout à l’autre de la planète. Et favorisé ainsi l’explosion d’un marché de la finance hors de contrôle, auquel s’est connectée cette grande truanderie.
Mafia albanophone et oligarques russes, triades chinoises, parrains calabrais ou siciliens, pirates des mers chaudes et trafiquants de stupéfiants, d’armes, de bois, de diamants, de métaux, de cigarettes, d’animaux, d’êtres humains, de médicaments : la variété des « commerçants illicites » et de leurs marchandises donne le tournis, comme le montre le premier chapitre de ce numéro. Tout comme l’ampleur de ses profits : d’après l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les bénéfices de toutes ces activités délictueuses, à l’exclusion de l’évasion fiscale, se seraient élevés à environ 2 100 milliards de dollars en 2009 — l’équivalent du produit intérieur brut de l’Italie ; le blanchiment d’argent représenterait quant à lui 1 600 milliards de dollars supplémentaires, dont 70 % « légalisés » à travers le système financier (1). En effet, « de la Banque du Panamá à la Bank of Credit and Commerce International (BCCI), de la Banque de Monaco à la JPMorgan Chase, de la Banque de New York à la Citibank, de la Lehman Brothers au Crédit lyonnais, de la Royal Bank of Scotland à la Merrill Lynch (la liste est bien plus longue), pas une seule institution financière qui n’ait été impliquée dans des “histoires” de blanchiment d’argent issu de trafics illégitimes, de caisses noires des services secrets, d’opérations frauduleuses ou de pots-de-vin (2) ». A qui profite le crime ? Cette industrie de l’ombre, qui nuit aux Etats autant qu’à ses « clients », dérobe ses vrais bénéficiaires au regard public (chapitre deux).
S’agissant de la drogue, on ne s’interrogera ni sur les motivations de la toxicomanie ni sur les voix, de plus en plus nombreuses, qui plaident, vu l’échec d’une guerre qui n’en finit pas, pour une dépénalisation. Comme bien d’autres trafics, ce « business » a ses seigneurs et ses victimes, ses profiteurs et ses soutiers. Mais, au-delà, il existe des logiques économiques pousse-au-crime. Sans la misère insondable qui les accable, tout porte à croire que les paysans ne s’obstineraient pas à planter des cultures illicites en Amérique latine ou en Asie. A cet égard, certains doubles discours ne manquent pas de piquant : n’est-ce pas la très prohibitionniste administration américaine qui, pendant la guerre du Vietnam, et pour soutenir les maquis anticommunistes, favorisa la production de l’opium, devenu une arme stratégique, dans les champs de pavot du Triangle d’or, et sa commercialisation via les avions d’Air America affrétés par la Central Intelligence Agency (CIA) (3) ? Si les Etats dits « occidentaux » dénoncent goulûment la corruption et l’argent sale pour clouer au pilori un gouvernement qui leur déplaît, ils restent très discrets quand il s’agit d’un pouvoir ami ou d’un pays assurant leur approvisionnement énergétique.
Corruption et pots-de-vin, délits d’initiés, manipulations de cours, détournements d’actifs et faux bilans, abus de biens sociaux et sociétés fictives, évasion fiscale, montages financiers « légaux » : voici que, profitant des lacunes des règles et des lois, cadres en col blanc, bureaux d’avocats, cabinets comptables, consultants, prête-noms, conseillers et multinationales — Apple, Starbucks, Google, Amazon, etc. — rejoignent la cohorte des malfrats.
On le verra dans un troisième chapitre : si les gouvernements ne sont pas allés jusqu’à se vanter de ne rien faire, ils se sont accommodés des sociétés offshore et des paradis fiscaux. Comme une aiguille de phonographe qui dérape sur un disque, ils peuvent bien, régulièrement, jurer qu’ils vont agir : l’un des derniers bastions du secret bancaire, le Luxembourg, est dirigé depuis 1995 par le très libéral Jean-Claude Juncker, également président longtemps indéracinable de l’Eurogroupe (4), d’où il a donné de drastiques leçons de gestion des deniers publics de 2005 au 21 janvier 2013 !
Alors que les peuples ploient sous les effets d’une crise qui rabote leurs acquis pour sauver les profits, les gouvernants jurent que, cette fois, paradis fiscaux, secret bancaire et montages obscurs sont condamnés. Du moins le souhaitent très fort. Si fort qu’il serait inutile de réprimer ces acteurs économiques aux façades honorables. Le phonographe le répète en boucle : il suffit d’y croire...

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