"La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l'exactitude de l'information. Si le citoyen n'est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire." Jean-François Revel - Extrait d'un Entretien avec Pierre Assouline - Novembre 1988

samedi 13 juillet 2013

SORTIE DE PISTE POUR TOUTE L’EUROPE DU SUD. Un article important d'Ambrose Evans-Pritchard dans le Daily Telegraph du 10/07/2013

Mes lecteurs n'ignorent pas que j'apprécie les articles incisifs et généralement très bien informés d'Ambrose Evans-Pritchard, le plus célèbre journaliste d'investigation du quotidien britannique Daily Telegraph.

C'est dans ce journal de grande qualité (car très précis, analytique et rationnel, et donc forcément très eurocritique...) qu'Ambrose Evans-Pritchard avait notamment rendu compte des documents du Département d'Etat américain, déclassifiés à l'été 2000. Son article du 19 septembre 2000, que je cite dans la plupart de mes conférences, avait fourni au grand public de nouvelles preuves irréfutables que les services secrets américains ont conçu et financé, dès l'origine, la construction européenne, le Mouvement européen, Robert Schuman, Paul-Henri Spaak, etc.

Avant-hier, 10 juillet 2013, Ambrose Evans-Pritchard a consacré un long article à la détérioration continuelle de la situation économique et financière des pays de l'Europe du sud.  

Cet article est important car, outre les faits qu'il relate, il nous incite à ne pas perdre de vue ce que je ne cesse pour ma part d'affirmer, à savoir que la crise de l'euro n'est pas du tout « derrière nous », comme l'a affirmé si sottement ce pauvre François Hollande le 10 décembre 2012 à Oslo (Norvège), mais bel et bien « devant nous ».

J'invite donc mes lecteurs à lire ce texte, qui apporte un complément intéressant à celui que j'ai publié hier sur la situation très périlleuse dans laquelle s'enfoncent les Pays-Bas. Accessoirement, il fait également ressortir une nouvelle fois à quel point nos grands médias de masse, et notamment les grandes télévisions et les grandes radios, désinforment les Français sur la situation réelle de la zone euro.

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C'est l'une de nos adhérentes, Elisabeth, qui a eu la gentillesse de le traduire en français pour tous nos lecteurs. Je l'en remercie bien vivement. Voici sa traduction.




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SORTIE DE PISTE POUR TOUTE L’EUROPE DU SUD
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Article d'Ambrose Evans-Prichard - Daily Telegraph du 10 juillet 2013
    
La stratégie européenne pour surmonter la crise de la dette est au bord de l’effondrement. La reprise tant attendue n’a pas réussi à décoller. La hausse des taux d’endettement à travers toute l’Europe du Sud s’accélère. Le consensus politique en faveur d’une austérité extrême se délite dans presque tous les pays de l’Union économique et monétaire (UEM) touchés par la criseEt pour faire bonne mesure, la Réserve fédérale américaine inflige maintenant un choc de crédit plein pot.

Aucun des acteurs clés de la zone euro ne semble prêt à admettre que la stratégie actuelle n’est pas tenable. Ils essaient d’en camoufler les fissures jusqu’aux prochaines élections allemandes en septembre, comme si cela allait changer quoi que ce soit.


Un rapport de la Commission européenne, qui a fait l’objet d’une fuite, confirme qu’une fois encore, la Grèce n’atteindra pas – et de loin - les objectifs fixés en matière d’austérité. Il affirme que la Grèce manque de  ‹‹ volonté et de moyens ››  pour percevoir les impôts.

En fait, Athènes ne peut atteindre les objectifs fixés car son économie est toujours en chute libre suite à un excès d’austérité. Le club de réflexion grec IOBE s’attend à voir le PIB plonger de 5 points cette année. En privé, ils avancent même auprès des journalistes le chiffre définitif de -7 points. La stabilisation de la Grèce est un mirage.



La lente crise italienne repart de plus belle. La trajectoire de sa dette a franchi la ligne jaune au cours des deux dernières années. La dette publique, qui est de 2 100 milliards d’euros  (1 800 milliards de livres) – 129 pour cent du PIB –,  a peut-être déjà atteint le point de non retour pour ce pays dépourvu de monnaie nationale.

Standard & Poor’s ne l’a pas clairement dit mardi dernier au moment d’abaisser la note du pays à la note BBB, soit quasiment au niveau des "obligations pourries". Mais si on lit entre les lignes, cela revient à dire que les jeux sont faits pour l’Italie.

Leur analyse, c'est que, si [la hausse du] PIB nominal reste proche de zéro, le gouvernement de Rome devra dégager un excédent primaire de 5 points de PIB chaque année s'il veut stabiliser son taux d’endettement. ‹‹ Les risques qu’un tel résultat implique semblent être à la hausse ››, ont-ils précisé.

En effet. Le Fonds Monétaire International vient de revoir à la baisse les prévisions de croissance de l’Italie à -1.8 pour cent. La baisse cumulée de la production italienne depuis 2007 va atteindre 10 pour cent. Il s’agit là d’une dépression. Mais comment ce pays pourrait-il se sortir de ce piège avec une monnaie surévaluée de 20 à 30 pour cent au sein de l’Union monétaire européenne ?




La crise espagnole prend un nouveau tournant. Le parti au pouvoir, le Partido Popular, est pris dans un scandale de caisse noire d’une ampleur telle qu’il ne peut plus se contenter de répondre aux accusations par le mépris, et encore moins de rassembler la nation derrière une nouvelle année de coupes budgétaires à la hache. Le journal El Mundo affirme qu'une ambiance ‹‹ pré-révolutionnaire ›› est en train de se répandre. 

Un magistrat a obtenu des originaux de première main prouvant de manière irréfutable que le Premier Ministre, Mariano Rajoy, avait perçu des versements illégaux du temps où il était ministre. La gauche demande sa tête, mais les membres du Consejo General del Poder Judicial (Conseil général du Pouvoir judiciaire), organisme de surveillance de la justice, la demandent aussi.

« Pour les citoyens, c’est inadmissible qu’un premier ministre ait pu accepter des paiements non déclarés » a indiqué José Manuel Gómez, un membre de ce Consejo . Une grande partie du parti au pouvoir semble tremper dans un système de financement occulte. Si cela était avéré, a précisé M. Gómez, cela représenterait une « très grave » menace pour la démocratie espagnole.
  

Le Portugal s’enfonce. Le livre du professeur  João Ferreira do Amaral – Pourquoi il faut quitter l’Euro – a été un best-seller plusieurs mois d’affilée. Il accuse Bruxelles d’être aux ordres de l’Allemagne et des créanciers.

Comme la Grèce avant lui, le Portugal, tel un serpent qui se mord la queue, est pris dans une spirale infernale. La contraction économique, qui est de -3 pour cent par an, érode l’assiette fiscale, empêchant le gouvernement de Lisbonne d’atteindre ses objectifs en matière de déficit. Un nouveau document de travail de la Banque du Portugal explique ce qui n’a pas marché. Le multiplicateur budgétaire est « deux fois supérieur à la normale », soit 2.0, dans les petites économies ouvertes en temps de crise.  

Ce qui est nouveau, c’est que Vitor Gaspar, grand prêtre de la stratégie du choc au Portugal, a jeté l’éponge. Il reproche aux timorés de ne pas avoir taillé dans le vif encore plus vigoureusement. Inutile de dire qu’il refuse toujours d’admettre qu'une stratégie de coupes dans les salaires et de déflation, dans un pays dont la dette totale représente 370 pour cent du PIB, avait toutes les chances d’échouer.

Si le Portugal mène à bien une « dévaluation interne » au sein de l’UEM, cela réduira le socle économique. Pourtant, le fardeau de la dette restera le même. C’est l’effet redoutable du dénominateur. La dette publique est passée de 93 à 123 pour cent, rien que depuis 2010.

Avec les propos de Gaspar, une page a été tournée. Les membres de la jeune coalition ont demandé un changement de cap. A l’heure où j’écris, j’ignore si le Président Anibal Cavaco Silva va demander des élections anticipées, qui ouvriraient la voie à un gouvernement anti-austérité de gauche.

La presse portugaise signale déjà que la Commission européenne travaille secrètement à un deuxième plan de sauvetage, ce qui revient à avouer que le premier sauvetage de 78 milliards d’euros de la troïka UE-BCE-FMI est en train de capoter.



On est en plein terrain politique miné. N’importe quel nouveau plan de sauvetage devra être voté par le parlement allemand, dont les exigences seront féroces si cela a lieu avant les élections.

Les dirigeants européens se sont solennellement engagés à ne jamais répéter l’erreur faite en Grèce, à savoir d’acculer un pays à une situation de défaut de paiement, avec une décote pour les banques et les fonds de  pension. Si l’allégement de la dette portugaise devenait nécessaire, le choix de ces dirigeants serait terrible.   

Devront-ils manquer à leur parole et perdre la confiance des marchés ? Ou devront-ils admettre pour la première fois que le poids du maintien de l’UEM repose sur les contribuables ? Tous les plans de sauvetage ont consisté jusqu’à présent en des prêts. Les parlements allemand, néerlandais, finlandais et ceux des autres pays créditeurs n’ont encore jamais eu à constater le moindre euro de pertes.

Tout cela alors même que les propos de la Réserve Fédérale sont autant d’électrochocs pour les marchés du crédit, faisant grimper les coûts de l’emprunt de 70 points à travers l’Europe. Les rendements espagnols à 10 ans sont repassés à 4.8 pour cent. Ils sont plus élevés qu’ils n’en ont l’air, car si l’on élimine les distorsions fiscales, l’Espagne connaît la déflation. Les taux d’intérêt réels sont en train de grimper en flèche.  

En ne faisant rien pour que cela cesse, la BCE permet un « resserrement passif ». La tentative de Mario Draghi de diminuer les rendements grâce à une nouvelle politique d’orientation revient à cracher face au vent. La BCE a besoin d’ouvrir le robinet monétaire à fond – comme la Banque du Japon – pour éviter de s’enfoncer dans le piège de la déflation et du désastre d’ici à l’année prochaine. Mais cela n’aura pas lieu.

Le [magazine allemand] Spiegel indique que le bloc mené par l’Allemagne s’est opposé de toutes ses forces à une baisse des taux d’intérêt lors de la dernière réunion de la BCE, bien que l’économie allemande ait elle-même considérablement ralenti tandis que la Chine et les BRICS sortaient des rails.

Jusqu’à présent, les marchés ont réagi avec insouciance à ces crises de gestation à travers l’ensemble du  « Club Med » [1] . Ils demeurent sous le charme de l’ « Option Draghi», pendant que la promesse de la BCE d’assumer la dette italienne et espagnole s’effrite lentement, oubliant que les possibilités d’actions de la BCE sont très limitées, et doivent d’abord être votées par le Bundestag.

Ces conditions ne sont désormais plus remplies. Partout, les politiques ont tourné au vinaigre.

Tôt ou tard, ce gigantesque bluff finira bien par ressortir.

[1] Note du traducteur : c'est le surnom goguenard que certains milieux politiques et financiers anglo-saxons donnent au groupe des pays du sud de la zone euro, présentés comme des peuples peu sérieux.

Lundi 10 décembre 2012 : Il y a 7 mois, depuis Oslo (Norvège) où il assistait à la remise du prix Nobel de la Paix à l'Union européenne, François Hollande a assuré que « la crise de la zone euro est derrière nous ».

source :  https://www.upr.fr/actualite/europe/sortie-de-piste-pour-toute-leurope-du-sud-un-article-important-dambrose-evans-pritchard-dans-le-daily-telegraph-du-10072013

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